Planet Earth : polémique
Je suis très étonnée de la vague de mécontentement que soulève Planet Earth.
Le phénomène ne se limite pas, loin s'en faut aux fans français : partout la polémique fait rage, les avis sont pour ou contre. Je trouve toutefois qu'il y a beaucoup, énormément d'avis négatifs. J'ai l'impression que le mouvement est de plus grande importance que pour Musicology ou 3121.
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Ce qui est assez inquiétant.
Ou est-ce simplement normal ?
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J'ai longuement réfléchi à la question ce soir, suite à une avalanche de mails dans la mailing liste de la PABW.
Je comprends les déceptions des uns et des autres, et je suis sciée de voir que même Raphy, l'increvable Raphy est déçu.
La claque !
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Je me refuse à décréter un album de Prince "pas terrible" tant que j'ai pas lu les paroles.
Surtout depuis qu'en 1989 j'ai été une des premières à cracher sur Batman, pour me rendre compte à quel point j'étais dans l'erreur, mais 10 ans plus tard.
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J'ai écouté Planet Earth 2 fois.
Pendant la première, j'ai écrit ma chronique, pour bien me rappeler de mes premières impressions. Vous l'avez lue, vous l'avez commentée.
Pendant la deuxième, je mettais en forme mon article, et je me suis surprise à déjà avoir des avis différents sur Mr Goodnight, Chelsea Rodgers et Revelations.
J'ai écouté encore une fois les 3 premiers titres, puis exprès je me suis privée de l'écouter, afin de voir en 2 jours ce que j'en retiens de tête.
Il y a franchement des titres que j'ai hâte de ré-écouter, d'autres qui ma foi devront faire l'épreuve du temps.
Et j'ai su aussi que j'allais avoir des tas de choses à "updater" dans mon article, un premier jet qui vaut ce qu'il vaut, mais qui est loin d'analyser les choses en profondeur.
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Parce que le son de la preview est super merdique, je ne me force pas à écouter l'album.
Pas la peine d'insister, sans les hautes fréquences (et tout ce qui se barre quand on encode @ 96 k), je vais rien capter, m'abimer les oreilles.
Bourgeoise sur la qualité du son La Rouge. :-)
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Je ne suis ni surprise, ni déçue, car quelque part je m'étais préparée à avoir un album différent, qui me dérangerait. Et avec lequel j'aurai du mal.
Pour préciser ma pensée, en fait dès que j'écoute un nouvel album de Prince, je suis déçue.
Je dois m'accrocher grave pour comprendre, apprendre et aimer.
A chaque fois c'est pareil, il me dérange dans mon petit confort. Il m'énerve à bousculer mes certitudes. A sortir des sons qui me rappellent vaguement un truc, mais en même temps je ne sais plus quoi (faire des recherches), mais qui me donne une impression de déjà entendu tout en étant différent (très énervant).
Alors je fais un très gros effort sur moi même, parce que c'est Prince, et à la fin je finis par entrer dedans et l'aimer (sauf rares, très rares occasions).
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Ce n'est pas comme si c'était depuis 2 ou 3 albums que ça me fait ça.
Le premier album que j'ai acheté, Around The World In A Day, m'a fait exactement la même chose. A part un titre pour moi ("Raspberry Beret") le reste c'était de la merde.
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Un an plus tard, Parade, rebelote. j'ai mis Parade au placard, j'ai ressorti Around The World In A Day, et j'ai trippé grave.
Et ainsi de suite.
Il n'y a qu'à Lovesexy que j'ai été scotchée dès le départ, et à O(+> aussi.
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Purple Rain ça compte pour du beurre vu que j'ai du l'écouter pour la première fois en 1988 (oui j'avais du retard).
Sinon en 1984 j'avais vraiment détesté Purple Rain, le single.
Qu'est-ce qu'elle m'avait gongflé cette chanson, je ne comprenais pas ce que tout le monde lui trouvait, pour moi ça n'était vraiment pas ce que tout le monde s'accordait à en dire.
Je me souviens d'un camp de vacances en été cette année là où j'avais découvert un 45t de "When Doves Cry" à la boum, qui m'avait laissé complètement froide. Mon commentaire : "N°1 aux USA, c'est n'importe quoi".
Pour tous les albums autres que ceux que j'ai cité, sans exception, ça a été hyper dur.
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Quand j'ai réalisé l'année suivante que Prince c'était important et qu'il fallait rester up-to-date avec un lascar pareil, j'ai quelque part un peu forcé ma personalité, étant quelqu'un de plutôt lent (on dirait pas, mais je jure que c'est vrai).
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Par conséquent, même si au bout de 10 écoutes, l'album finalement ne le fait toujours pas, je ne m'en fais pas. J'ai encore toute ma vie pour l'apprécier. Parce que je sais que ça va arriver, c'est mathématique. A chaque fois c'est pareil, je commence à connaître la chanson. J'ai du retard à l'allumage, mais je me soigne.
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Maintenant, est-ce que le débat ne serait plutôt pas, sommes nous en présence d'un grand album de Prince qui va marquer son temps, ou d'un album honnête point barre qui passera, comme d'habitude, complètement inaperçu, sauf de nous ?
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Est-ce que l'attente d'un certain nombre d'entre nous ne serait pas plutôt :
"Vivement que Prince fasse un album qui me déchire, emporte la critique, vende des millions d'exemplaires, même à mon voisin ou ma collègue de bureau qui n'y bite rien à la musique, afin que j'ai l'air moins con à continuer de tripper pour un artiste dont les moins de 16 ans ne connaissent même pas l'existence ?
Que je puisse leur dire : vous voyez, je vous l'avais bien dit !"
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Je peux vous donner la réponse de suite : non.
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Sauf accident, même avec les concerts, même avec le barouf de la sortie de l'album dimanche prochain dans The Mail On Sunday (article à venir), Prince continuera à passer quasimement inaperçu, et/ou pour un eccentrique qui fait rien comme personne et qui fait l'intéressant pour qu'on continue à parler de lui.
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Il n'y a qu'à voir la précommande du single "Guitar" au Virgin Megastore des Champs Elysées : 10.
Tout à fait révélateur.
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Que l'album ait du succès ou pas je m'en contrefiche.
Depuis quand faut-il emporter la voix des masses pour que ce que l'on fasse artistiquement ait de la valeur ?
Ce qui m'intéresse dans cet album, et dans la manière que Prince a de le marketer, c'est ce que ça va m'apprendre.
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Mine de rien, par rapport à l'histoire de la musique, album terrible ou pas, ce qu'il fait en Angleterre est une première mondiale (une de plus).
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Maigre consolation ?
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Mais il me semble que c'est ce qui intéresse prodigieusement Prince ces derniers temps : qu'on se souvienne de lui comme d'un pionnier.
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La musique, il nous l'a révolutionnée 3 mille fois en 30 ans.
Parfois j'ai même l'impression qu'il fait des albums par habitude, pour pouvoir continuer à proclamer qu'il peut en sortir un par an, et que c'est unique, ou qu'on puisse le dire plus tard. Ou parce que ça sert sa vision de l'industrie de la musique de demain. Mais plus du tout parce qu'il a un truc dérangeant à dire.
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A presque 50 ans, nanti, viviant dans sa bulle de VIP, a t'il seulement les capacités de sortir ses tripes sur chaque album ?
Et à quel propos ?
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Pas sur des sujets personnels.
Ou alors faut qu'il arrête de vivre dans le déni, dans cette course effrénée vers demain en faisant systématiquement une croix sur les douleurs du passé sans les exorciser, juste en "prétendant que ça n'est pas arrivé" (citation de Prince à propos de son mariage avec Mayte).
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Pas sur des sujets de société.
Avoir le culot d'écrire un titre comme Planet Earth, parce que comme le tout Hollywood, on a fini par voir le film de Al Gore "An Unconvenient Truth" et qu'on s'en est ému, quand on continue de se déplacer en jet privé comme qui rigole pour donner un concert dans le sud de la France et s'en retourner le lendemain, c'est assez balaise comme hypocrisie.
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Las Vegas pour se rendre compte des problèmes sociaux qui secouent le quotidien des terriens, c'est assez limité comme horizon.
Nous a jamais parlé de délocalisation, non plus. Mondialisation ? Connait pas. Aux abonnés absents le Prince.
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Et la pandémie d'obésité sur la surface du globe ? Les scandaleuses pratiques de l'industrie agro-alimentaire sur non seulement les OGM, mais les huiles hydrogénées et le sirop de glucose ?
Le H5N1, le quoi ?
Au fraises Prince, pas concerné.
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Devenu végétarien, il a préféré nous seriner qu'il ne fallait pas manger les gentils animaux que Dieu à créé. A coté de la plaque complet.
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On a l'album qu'on a, parce que et à cause des propres choix de Prince : de religion, de proches, de style de vie. Qui sont pour beaucoup d'entre nous, très discutables, ou très loins de nos propres réalités.
Mais c'est le seul que Prince puisse produire à l'heure actuelle, dans ces conditions. Avec le style de vie qu'il a choisi.
Et il faudra nous en contenter.
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On est très loin de The Rainbow Children, certes, mais à cette époque, Prince avait une vie très différente. Radicalement à l'opposé de ce qu'il est (re)devenu. Et cela n'est, semble t'il pas seulement lié au fait d'être Témoin de Jéhovah.
C'est bien plus profond.
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Mavis Staples s'est étonnée récemment dans un article, de son attitude. Après avoir dîné avec Prince à Las Vegas, elle s'est demandé si sa religion voulait dire grand chose pour lui, parce que, et je la cite texto, elle a vraiment eu l'impression de voir "the old-Prince".
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J'ai beaucoup repensé à la signification de cette phrase, parce qu'elle trouvait un écho naturel en moi, dans un constat que j'étais sur le point de faire, bien qu'ayant encore quelques incertitudes.
Prince, celui qui a écrit "big cars and women, and fancy clothes with save your face but they won't save your soul", semble avoir changé radicalement ces dernières années, nous en avons tous fait le constat.
Mavis Staples il me semble fait référence au Prince d'avant "My Name Is Prince" ou "Letitgo". D'avant la prise de pouvoir de O(+> son alter-ego.
Celui dont les principes, plus humains, nous ont plu dans les années 90.
Il est redevenu, dans une certaine mesure, ce qu'il était de pire. Mais c'était à prévoir, et il l'a voulu ainsi. Nous devons respecter cela.
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S'il persiste dans cette voie on peut d'ores et déjà parier que les prochains albums seront de moins en moins en phases avec nos réalités, tout autant que de moins en moins enclins à nous faire rêver.
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Nous les trouverons de plus en plus vide de sens, voire aseptisés.
1/ Parce que lui le veut comme ça.
2/ Parce nos vies sont à l'opposé de la sienne et que les écarts continuent de se creuser ses préoccupations et les notres.
3/ Parce qu'ayant nous même rangé un grand nombre de nos idéaux au placard, nous avons moins propension à nous laisser porter par ceux des autres, puisqu'on sait que c'est chimère.
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Jusqu'à preuve du contraire, c'est son oeuvre, et nous n'avons aucun droit de regard dessus. Ce manque de contrôle, par un manager, une maison de disque qui jouerait les garde fous et le renverrait à ses chères études de temps à autre, nous frustre parce que nous savons ce dont il est capable et nous sommes toujours persuadés qu'il peut, s'il s'en donne la peine, tout démonter.
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Parce qu'il est s'est mis lui même hors de tout contrôle, dans un monde où, personnage central, il a ré-écrit les règles, il est dans l'impossibilité de se remmettre en question. C'est les autres qui ont tord, point. La critique ayant été bannie de son entourage, ne restent plus que les moutons pour bêler. Ce qui n'aide en rien. La liberté de Prince a un prix.
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Même si c'est dur à avaler, je résiste.
Parce que ce fait là m'intéresse : être contemporaine de Prince, pouvoir continuer le travail d'archive et d'analyse me fascine prodigieusement.
Ça va vraiment au-delà de la qualité de la musique, et de la qualité des concerts.
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Je prendrai le maximum que je peux de cet album en restant positive.
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J'irai à Londres en sachant que je risque d'être autant déçue qu'emballée : je prends le risque.
J'essayerai d'assister aux aftershows comme je pourrai, en toute simplicité, sans me prendre la tête, tout en sachant que question Jazz, Prince est aussi capable du pire comme du meilleur (surtout quand l'after consiste à laisser jouer le groupe et gratter 5 minutes soi-même).
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Si Prince ne me/nous convient pas/plus, et bien comme quelqu'un l'a justement dit sur la PABWML, il y a d'autres albums qui ont la capacité de me/nous mettre par terre.
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Chaque année j'arrive à en trouver au moins un. Mais ça ne me donne toujours pas une raison de décréter qu'un de ses albums est de la merde.
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Message personnel : "Fred je préfère que tu me dises que tu détestes, mais n'étant pas musicien, tu peux pas avoir ce genre de jugement de valeur (c'est de la merde) sur une composition musicale.
Tu me diras que je chipote la sémantique, mais non : Jordi (Dur d'être un bébé) c'est de la merde Crazy Frog c'est de la merde. Je me permets de juger ça comme ça parce que ce n'est justement pas de la musique."
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Je pense que Prince a encore des choses à nous raconter, et que nous devons aujourd'hui nous faire deux fois plus violence pour les décoder. Car même quand on s'efforce de dire tout, saud l'essentiel, on raconte quand même quelque chose.
Tout est dans les chansons, d'où mon besoin criant d'obtenir les paroles.
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Alan Leeds disait quelque chose que je me répète souvent : on le connait tellement bien, depuis longtemps, qu'il aura toujours de plus en plus de mal à nous étonner, à nous surprendre. Parce que cette capacité là, au bout de 30 ans, s'est considérablement erodée.
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Il faut en prendre notre parti, c'est un fait avéré. Rien ne sera jamais plus comme avant, la seule question est : "Can you keep up" ?
Allez peace.
BLR
p.s. : les photos qui illustrent cet article viennent de la performance du 07.07.07 à Minneapolis, Macy's (Pionneer Press) sauf la dernière, du 30 juin 2007 à Los Angeles, Hotel Roosevelt (W.image press S.H.).